Lorsqu’une situation échappe à notre choix, elle nous laisse cependant celui de l’expérience, à savoir comment nous choisissons de vivre la situation qui s’offre à nous. Le confinement nous oblige à lever le pied et à passer plus de temps avec nous-mêmes. Une bonne occasion de réfléchir sur notre travail, la place qu’il prend, la place que nous lui donnons.
L’addiction
Je pense cette fois à tous les accros au travail, celles et ceux d’entre nous qui ne vivent que pour ça, ne pensent qu’à ça, sont littéralement obnubilés par leurs jobs. Les anglais ont inventé cet adjectif très parlant de « workaholic ». Il désigne l’addiction au travail en jouant sur la sonorité du dépendant à l’alcool « alcoholic » en y accolant le mot travail « work ». Pour rappel et selon le dictionnaire : « L’addiction est un processus par lequel un comportement humain permet d’accéder au plaisir immédiat tout en réduisant une sensation de malaise interne. Il s’accompagne d’une impossibilité à contrôler ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives. »
Or notre société occidentale valorise particulièrement le travail, à tel point que ne plus en avoir peut être vécu comme une honte, un échec, voire une déchéance ! Être accro au travail n’est pas considéré comme une compulsion ou une faiblesse, comme cela peut l’être pour l’addiction à l’alcool ou à la drogue. Bien au contraire. Les entreprises encouragent ces comportements perçus comme impliqués, combatifs, et forcément très rentables. Elles considèrent l’endurance comme une compétence. Un seul accro au travail peut donner le La dans le fonctionnement de tout un service : si elle ou lui peut le faire, les autres le peuvent aussi ! L’entreprise va parler d’émulation, d’exemplarité alors qu’en réalité c’est le comportement inadapté qui va devenir la référence et forcer les autres à s’aligner sur un rendement sur productif.
Le burnout
Pourtant le workaholic est en grave danger de surchauffe. Le phénomène de burnout est aujourd’hui bien connu. Les entreprises savent le prendre en compte une fois advenu mais pas ou pas assez l’anticiper et l’empêcher. Le burnout est de plus souvent vécu par la personne qui en souffre comme une trahison interne : la machine a lâché, elle a fait défaut. Le corps a dit non. Brusquement. Et la dépression, latente pourtant depuis un moment, s’installe. Avec un sentiment lourd de culpabilité, d’impuissance. C’est un monde entier qui s’écroule sur l’accro au travail. Tout ce pourquoi il ou elle a vécu s’effondre.
Il faut environ cinq ans pour que le corps se répare totalement des dommages subis lors d’un burnout. La reprise du travail peut se faire avant mais combien voit-on de personnes s’arrêter à peine quelques mois, et s’empresser de reprendre une activité et d’oublier ce « passage à vide » ? Dans burnout il y a brûlure, combustion. Quelque chose en soi a été réduit en cendres, est parti en fumée. Il faut du temps pour se réparer, se reconnecter, retisser des liens avec soi. Le burnout est parfois une formidable opportunité pour remettre les compteurs à zéro et cesser cette fuite en avant. Nous ne pouvons pas nous fuir éternellement nous-mêmes, ce qui est nié en nous va continuer, légitimement, à demander à exister.
L’entreprise et sa culture
Nous devrions globalement interroger la valeur travail que nous alimentons. Aux États-Unis les heures passées au bureau en dehors de celles mentionnées sur le contrat de travail sont mal considérées. La culture d’entreprise américaine va en effet estimer que l’employé montre qu’il n’est pas en capacité d’effectuer le travail demandé dans le temps imparti. En France en revanche les heures sup’ sont bien vues. Trop peut-être. C’est parfois une obligation de rester tard à son poste, n’ayant plus rien à faire, plutôt que de déserter l’entreprise aux heures contractuelles. Il ne faut surtout pas être le premier ou la première à partir ! Il faut montrer que l’on travaille, quitte à faire semblant si nécessaire, mais surtout ne pas avoir l’air pressé de s’en aller (parce qu’on a une vie à vivre par exemple). Tant que nous valoriserons les marche ou crève au travail, fiers de trop en faire, et que nous les érigerons en modèles, nous nous exposerons à des abus et à de la souffrance.
Heureusement pour nous, la nouvelle génération qui pénètre le marché de l’emploi ne se laisse plus faire. Pour exemple le nombre de stagiaires abandonnant leur fonctions jugées inadaptées ou dévalorisantes a fortement augmenté ces dernières années. Finies les photocopies et les cafetières à préparer. Les jeunes ne marchent plus dans l’exploitation de ce jeu de dupe. Ils veulent du sens, se sentir utiles, avoir du temps pour eux, pour vivre autre chose. Travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler.
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